Romanthony
C'était une petite légende de l'underground house
jusqu'à ce que les Daft Punk le citent comme l'un de leurs
maîtres sur leur morceau "Teachers". Depuis 2-3
ans le 'buzz' monte autour de Romanthony, à tel point qu'on
le pressentait comme une nouvelle star potentielle de la dance music,
dans la lignée de ses illustres disciples. A l'écoute
de son nouvel album on n'en est moins sûr.
Il
semble compliqué de rentrer en contact avec Romanthony. Durant
les premières années de sa carrière, l'homme
n'accordait aucune interview. Depuis quelque temps, il
consent de temps en temps à répondre à des
journalistes dûment sélectionnés. Pour des raisons
inconnues, nous n'avons pas pu faire partie des heureux élus.
Dommage car nous avions de nombreuses questions qui resteront (pour
l'instant) sans réponse. La connaissance et l'écoute
attentive de ses nombreux disques depuis un peu moins d'une dizaine
d'années suffisent cependant à inspirer quelques réflexions.
Aujourd'hui dans la trentaine, Romanthony est originaire du New
Jersey, un haut lieu de la (deep) house et du garage. Comme
beaucoup de ses homologues (ses aînés Blaze, Michael
Watford, Kerri Chandler, Jovonn, Smack Productions), il se convertit
à la house à la fin des années 80 grâce
aux shows radio du DJ vétéran Tony Humphries. Porté
par d'innombrables références de la grande tradition
de la musique noire américaine et au-delà (Robert
Johnson, James Brown, Led Zeppelin, Marvin Gaye, Earth, Wind &
Fire, Parliament/Funkadelic, Chic, Rick James, Prince etc. etc.),
il se lance dans la production au début des années
90. Depuis 1992, il a sorti une quarantaine de maxis (pour l'essentiel
sur le label londonien Azuli et sur son propre label Blackmale),
avec du bon, du moins bon, quelques déchets mais surtout
de nombreuses perles. Ces perles, elles expliquent le statut rapidement
'culte' qu'il acquiert auprès de DJ's tels que Laurent Garnier,
DJ Deep, Grégory, Alex, Dimitri From Paris (pour s'en tenir
à la France).
Le 'son Romanthony' - House Music pour l'essentiel - c'est un cocktail magique (pour ses meilleurs morceaux) qui se nourrit, comme nous le disions plus haut, des grands courants de la musique populaire afro-américaine (blues, gospel, soul, funk) - en gros la 'deepness' et le groove - en y ajoutant un côté 'abstrait', fortement hypnotique et légèrement 'trippé/barré' qui en fait la musique de club par excellence. Ajoutez à cela une ressemblance étonnante avec Prince, dans le style et dans le voix : comme le kid de Minneapolis (à un niveau certes inférieur !), R. est chanteur, multi-instrumentiste et d'abord guitariste, comme son modèle des années 80, R. mêle dans ses paroles, désir, sexe et spiritualité. Cette similitude avec Prince est éclatante dans l'album qui reste à ce jour le chef-d'?uvre de R., "Romanworld", compilation de ses meilleurs singles sur Azuli enrichie de nouvelles compositions liées les unes aux autres, avec pour résultat un véritable 'album-concept'. Il y a tout ou presque dans ce double CD : house bien sûr, blues, R&B, incursions pop (au sens noble du terme) et quelques interludes un peu grandiloquents (seule faute de goût ?).
Jusqu'en 1998, Romanthony est pratiquement invisible et intouchable. C'est à cette époque qu'il rencontre les Daft Punk et c'est le coup de foudre réciproque. Les deux Parisiens l'invitent au Queen pour une soirée "Respect" mémorable qui restera comme l'un des records d'affluence pour le club des Champs-Elysées. L'artiste secret du New Jersey change peu à peu de mentalité, il veut s'ouvrir au monde et éventuellement atteindre le même niveau de popularité que ses nouveaux amis. Il change du même coup ses pratiques discographiques : sortent coup sur coup en 1999, un album mixé de facture correcte (sans plus) sur le label français Distance et un album de house filtrée (assez pénible il faut bien l'avouer) en collaboration avec DJ Predator (inconnu au bataillon).
Aujourd'hui
débarque l'album qui devait être celui de l'explosion
médiatique et commerciale. Sorti sur Glasgow Underground,
un label écossais comme son nom l'indique. Il faut
dire que R. a toujours eu plus de succès à Londres,
Berlin, Munich, Tokyo, Paris et Glasgow donc qu'à New
York ! Disons le tout net, "R.Hide In Plain Site"
- c'est le titre - est une légère déception.
Certes il y a bien quelques 'tueries' comme ce "Bring
U Up", néo-funk qui fait se catapulter James Brown
et Prince ou encore "? $ Luv", belle ballade soulful,
encore une fois fortement influencée par The Artist
Formely Known As Prince. Certes Romanthony nous offre quelques
morceaux pure house de bonne facture mais l'on peut s'étonner
que deux d'entre eux figurent déjà sur le "Live
In The Mix" paru l'année dernière. Quant
aux titres hip-hop/R&B, ils sont là aussi corrects
mais les amateurs du genre reconnaîtront immédiatement
la copie du producteur en vogue aux Etats-Unis, Timbaland.
Quant à la toute première plage, "Countdown
2000", remix/remake de l'un de ses anciens morceaux sur
Blackmale, il s'agit d'un très difficilement supportable
morceau big beat trancey? Au-delà du simple jugement
artistique, il nous semble peu probable que cet album marche.
D'une part, il n'a strictement aucune chance de rentrer dans
les circuits de diffusion radio et distribution R&B aux
Etats-Unis. D'autre part le public dance music en Europe sera
nécessairement déçu par cette collection
de titres somme toute assez banals (encore une fois à
l'exception du "Bring U Up") et loin d'être
aussi tonitruants que ce qu'ont délivré dans
le passé les Daft Punk, Basement Jaxx et autres Armand
van Helden. Ce ne sera vraisemblablement donc pas l'album
de "l'explosion". Cela étant dit, R. développe
également son live en compagnie de plusieurs musiciens.
Il s'agit peut-être de la voie d'une créativité
renouvelée et conséquemment de la réussite.
A suivre.
Eric Bruckner