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Emmanuel Top
L'Electron Libre



Cloîtré dans son "studio des ondes", ce pionnier discret de la techno française n'en finit pas de faire parler de lui. Il est à la fois l'auteur du redoutable et ambitieux "Asteroid", l'album techno sans concessions, et producteur du méga tube trance "Seven Days & One Week" de B.B.E. Dans son antre de Tourcoing, nous avons rencontré pour vous Emmanuel l'artiste et Top le businessman.

On a déjà beaucoup parlé ici d'Emmanuel Top. Tout d'abord pour affirmer que, malgré sa relative absence de notoriété dans notre pays, c'est l'un des pionniers techno français. Fin des années 80, employé subalterne dans les studios Diki, Top va contribuer avec son mentor et compère Bruno Sanchioni, à produire les premiers tubes euro-techno, Brainwave, Plexus ou encore Age Of Love (avant même que les remixes de ce fameux morceau ne soient confiés à Jam & Spoon). Mais Emmanuel se sent à l'étroit et lance en 91 son label Attack, qui en l'espace de 7 maxis va connaître un succès considérable dans l'ensemble de la communauté techno, à l'exception presque de la France. "Nul n'est prophète en son pays", aime-t-il à répéter. Quelques temps plus tard, c'est le label britannique NovaMute qui va lui donner sa chance. Résultat, "Lobotomie", un carton international. Pendant ce temps, l'Allemagne a rapidement adhéré au son caractéristique d'Attack et a célébré en lui l'un des plus audacieux représentants de la vague minimaliste et mentale.



L'affaire se corse dans le courant de l'année 1996. Emmanuel a sorti un maxi plutôt remarqué chez POF, "Tri-Cid", chacun de ses maxis se vend aux alentours de cinquante mille exemplaires, mais on murmure déja qu'il prépare un nouvel album, aux accents expérimentaux, pour NovaMute. L'album, prévu à l'origine en mars dernier, ne sortira qu'à l'automne. Car Top a de grands projets. Tout d'abord Triangle, label orienté trance, auquel il voudrait redonner ses lettres de noblesse, après la déferlante psychédélique. Résultat, le "7 Days & One Week" de B.B.E. (alias Bruno Sanchioni, Bruno Quartier & Emmanuel Top), sorti aux premiers jours de l'été et qui tente de renouer avec la grande époque de la trance, à la manière du label Eye Q ou des productions de Jam & Spoon. Un morceau dont Top n'assure que la production, précisons-le (et non la composition) mis qu'il destine à un vaste public, sorte de cross-over entre les amateurs de pop, de dance et de techno. Le succès ne se fait pas attendre. Les clubs d'Ibiza vont célébrer ce morceau un rien optimiste et béat pendant tout l'été, et les charts mainstream prendront le relais dès la rentrée. De plus, vu le succès de la vague autoproclamée Dream Music, les volutes stratosphériques de B.B.E. séduisent de nombreux et nouveaux adeptes. Fait rare, ce morceau d'obédience trance, est déjà n°1 des clubs (toutes tendances confondues), se place parmi les premiers rangs du Top 50 et avoisine déjà les cent mille exemplaires vendus en France. Partout en Europe, "7 Days & One Week" a raflé la mise.Partout l'on a succombé au cyclone B.B.E., il est vrai produit de main de maître par Emmanuel. Le morceau, simpliste et mélodique, possède une puissance et une sonorité absolument inouïes. Chez les anglais, on a assisté à une bataille rangée de la part des majors et de leurs divisions dance pour empocher le morceau. Polygram, XL, Virgin UK et Sony ont toutes bataillé dur pour obtenir la licence de ce tube international. Outre-Manche, c'est finalement le label Positiva qui a remporté la mise, en France c'est Virgin via les lyonnais d'Independance (au flair infaillible) qui se sont chargés de commercialiser le morceau. Car c'est Emmanuel qui mène tous les débats et négocie pied à pied avec toutes les majors internationales, signant un deal différent pour chaque pays. L'indépendance n'a pas de prix.



Top, c'est l'artiste et le businessman, sans conflit d'intérêt ni crise de schizophrénie. L'homme est à la fois capable de signer un album résolument personnel, une production techno commerciale à visée tubesque, tout en menant ses affaires avec la détermination du jeune cadre le plus vorace. Car derrière tout cela, il y a une utopie, un grand projet. Fonder une véritable maison de disque puissante, capable de rivaliser avec les mastodontes allemands ou britanniques. Emmanuel Top, c'est à la fois les labels Attack, Triangle, Electrète (dont une poignée de subdivisions), une maison d'édition (la gestion des droits étant l'une des affaires les plus juteuses pour un label), un studio de production et dans un proche avenir une société de distribution (le maillon de la chaîne le plus faible et le plus désordonné dans le domaine de la musique). Quant au graphisme, le tout est assuré par la société voisine Top Print, qui appartient au père ! De ses années de labeur chez Diki et de son long apprentissage des galères et des aléas de la production, Emmanuel garde une sorte d'amertume. De plus, le public français a mis des années à le reconnaître, longtemps après nos voisins européens. D'où cette volonté affichée de mener seul son aventure, en toute indépendance par rapport aux autres structures déjà existantes. Il y a même chez ce jeune français (il n'a pas trente ans), un certain sentiment de solitude, vague tendance dépressive qu'il combat grâce à l'énergie de ses nombreux projets. Mais, à l'évidence, la scène française a besoin d'entrepreneurs de sa trempe. "La techo n'a jamais attendu l'aide des majors pour se développer, elle s'est faite toute seule sans l'aide de personne" rappelle-t-il avec discernement, "Pourquoi attendre des autres ce que l'on peut faire soi-même ?". Quand on connaît la manière dont Virgin a débuté dans les années 70, c'est-à-dire dans l'underground électronique, on peut se demander ce qu'il adviendra de lui d'ici quelques dizaines d'années.



Emmanuel Top, c'est l'électron libre de la scène techno, tout droit débarqué de son astéroïde de Tourcoing. Et lorsque l'on déboule, la mine enfarinée dans cette sympathique bourgade nordiste, à quelques encablures de la frontière franco-belge, on se dit que l'homme a délibérément choisi de vivre éloigné du bourdonnement parisien. La ville peut paraître calme, mais elle incarne à merveille cette Europe du commerce et de l'industrie, où se croisent autoroutes, entrepôts et zones d'activité. Une sorte de no man's land, actif mais un rien dépressif, dépourvu d'habitations ou de constructions historiques. A quelques kilomètres du studio d'Emmanuel, c'est "l'Eurozone Industrielle" de Wattrelos, parfait environnement techno s'il en est. En traversant ces paysages déshumanisés, on pense soudainement aux paroles de Derrick May, lorsque celui-ci évoque le destin tragique de Detroit. "Cette ville a servi de champ d'expérimentation. On y a fait mourir l'industrie (entendez par là les usines automobiles type General Motors, ndr) pour y faire naître la technologie" rappelle le pionnier techno à propos de sa ville-fantôme. Le destin du triangle d'or Lille-Roubaix-Tourcoing fût presque identique. La glorieuse époque de la mine est désormais lointaine !



Dans les ruelles de Tourcoing on cherche et on se perd au milieu des allées de brique. Pour enfin trouver le studio, sur lequel figure une modeste plaque, "Emmanuel Top Editions". On attend quelques minutes à l'extérieur, pour le voir enfin débarquer en voiture, complètement speed et agité. Il a la mine fatiguée des inlassables travailleurs. A l'évidence, ça commence à s'agiter sérieux autour de lui. Il avoue qu'il dort peu, qu'il rêve beaucoup, qu'il a une multitude de projets dans la tête et que les propositions ne cessent d'affluer à son bureau. Warp, Logic... sont parmi les labels qui ne cessent de le tanner pour qu'il collabore avec eux. Mais Top, volontiers flatté, prend son temps pour étudier chacune de ces propositions. Et il préfère de loin développer ses propres activités... l'indépendance, toujours. Même Thierry Lhermitte, comédien mais aussi producteur (souvenez-vous du chef-d'oeuvre "Un Indien Dans La Ville") lui a proposé de composer la musique de son prochain long-métrage qui, semble-t-il, tourne autour de l'univers des clubs. Mais il ne se sent pas prêt non plus. Il y a déjà trop à faire ici. Et Top ne cesse de se plaindre sur la lenteur des choses en France. Il paraît plutôt circonspect sur l'état des clubs et des raves et se lamente sur la dégénérescence de la scène belge. Même le Fuse a jeté l'éponge et s'est replié sur une formule plus conventionnelle, c'est dire ! "En France on aime conserver les monuments", dit-il l'air dépité, "pas de place pour les jeunes artistes, on est obligé de se prendre en charge seul".



On en vient enfin à la musique. Emmanuel avoue qu'il fait partie de ces stakhanovistes de studio, qui passent des nuits entières à fouiller les entrailles de leurs machines. Une productivité sans faille, certes, mais qui n'aboutit que très rarement. Ses tiroirs sont remplis de morceaux à jamais inédits (dont de nombreux essais jungle), qu'il n'a pas daigné sortir sur l'un de ses nombreux labels. "Je travaille beaucoup, mais je ne fais pas que des bombes". Pourtant, à titre d'exemple, il me fait écouter un morceau produit la nuit précédente, en trois petites heures. Une sorte de petit prodige acide que de nombreux labels n'hésiteraient pas à sortir. Mais pour Emmanuel, la musique c'est aussi une question d'équilibre. On peut parfois composer, histoire de se mesurer à la technologie, sans même penser à en faire un disque. Les machines et la production, il connaît. S'il s'intéresse au reste de la scène techno, il garde une oreille sur la production commerciale et populaire (le rock, la variété) et sur ses concurrents, histoire d'être à la page. Et le Studio des Ondes a l'air plutôt bien équipé. Une quarantaine de machines, parfaitement rangées, un son énorme, quasi infernal... un espace de rêve qu'il habite chaque nuit, avant de se réfugier à la campagne où il réside, loin de tout attirail technologique.



Emmanuel se saisit du master de son album "Asteroid". "Il faut l'écouter au calme, d'une seule traite" me prévient-il. Et je découvre, halluciné, sur la sono parfaite du studio, une sorte de space-opera techno ténébreux, minimaliste en diable, mais d'une grande richesse. Les morceaux avoisinent les 15 minutes, et sont pour la plupart basés sur une progression rythmique imparable. Il y a sur "Asteroid" une tension constante, peu à peu ébranlée par un flot de sonorités suraiguës et obsédantes jusqu'au climax final. Le son est d'une rare rigueur, les beats et les claps sonnent comme des coups de fouet, l'auditeur est rapidement immergé dans un étrange univers électronique. Les entrailles de la machine en somme. Une sorte de version moderne du fameux Tron.



Quelques soixante-dix minutes plus tard, vue la tronche du journaliste, Emmanuel a l'air plutôt satisfait de son boulot. Composé d'une traite en l'espace de trois mois, l'album lui a semble-t-il permis de se vider complètement. Et sa musique offre une vision plutôt vertigineuse du personnage. L'ambiance est à la fois à l'élévation et à la claustrophobie. On peut d'ores et déjà considérer "Asteroid" comme un aboutissement. Comme l'une des premières véritables étapes dans la carrière de Top. Comme l'expression la plus juste de l'humanité et de l'inhumanité de l'artiste. Il y a mis toutes ses tripes. "La rage" comme il dit.



Biographie de Jean-Yves Le Loup
pour le magazine Coda

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